moi, moi, moi
J’ai eu beaucoup de chance et j’en ai encore beaucoup.
Je bénéficie de nombreux privilèges sociaux ; je coche presque toutes les cases.
À quelques détails près, j’aurais pu devenir un vrai boomer. Mais il n’est peut-être pas trop tard ?
D’où viens-je ? Que fais-je ? Qui suis-je ? Une page garantie sans métaphysique.
apprendre (et plus)
J’ai d’abord eu la chance d’avoir, à l’école, au collège puis au lycée, quelques professeurs extraordinaires. Dixmier, Muyle, Fievet, Martin, Piétri, Lefèvre, Liégeon : quelques noms qui restent gravés. Et puis j’en avais aussi dans ma famille, ça aide. Elles m’ont fait aimer l’école, et aimer apprendre, découvrir de nouvelles choses, comprendre le monde. Alors j’étais un bon élève, plutôt en train de faire ses devoirs que d’aller jouer au foot. Jamais assez d’efforts pour être premier de la classe, mais tant mieux parce que je mesurais 1m45 pendant longtemps : je me serais bien fait bolosser.
Délégué de classe à plusieurs reprises, délégué au Conseil d’administration, membre de la commission qui validait les menus de la cantine (je me souviens d’une bataille épique pour obtenir un litre d’eau de plus par kilo de riz à cuire — immense fierté), j’ai adoré m’investir et parler fort, de ma voix qui n’avait pas encore mué, pour défendre toutes les causes qui m’étaient chères. C’était aussi l’époque de toutes les manifs dont les slogans me restent encore en tête, et qui se finissaient par une victoire : le ministre tombait, le texte partait aux oubliettes, le voyage scolaire pouvait se faire… et tout ça sans risquer de perdre un œil.
Des amitiés si fortes, parfois pour quelques mois, parfois pour plein d’années : Raphaël (bien sûr), Aurélie, Grégory, Bobette, Thomas, Bruno, Loïc, Greg, Hélène, Anne-Sophie, Armand, Eva, Thomas encore, Mathilde, Marissouk, Jeanne. [<— liste sponsorisée par les années 80.]
Et des amours (c’était l’âge) mais, là-dessus : chut.
jouer (sur scène)
À huit ans, je suis allé voir le groupe des enfants du conservatoire de ma ville jouer Les lettres de mon moulin d’après A. Daudet. Je crois me souvenir que je suis sorti de là en disant que c’est ce que je voulais faire (à la place du judo). L’année suivante, j’étais sur scène, un des sept Petits princes, caché derrière un grand ballon jaune. C’était l’aboutissement de ma première année passée avec Mylène Arbib, qui m’a initié au théâtre, au jeu, au plaisir d’être sur scène. Lorsque la fin de l’année approchait, et ses spectacles, je passais à peu près tout mon temps libre dans le théâtre, rôdant dans les coulisses, les réserves de costume, la régie ou dans la salle.
Des années plus tard, à l’entrée du lycée, j’ai découvert à peu près en même temps deux manières très différentes d’appréhender le jeu et le théâtre de manière générale. Avec Christiane Casanova, j’ai découvert l’intériorité du jeu, et les approches issues de Stanislavski et de l’Actors Studio. Grande lectrice de Freud et de Proust, Christiane m’a ammené à considérer le théâtre comme un art intérieur, qui nécessitait de se découvrir soi-même. Danuta Zarazik, elle, m’a fait découvrir un théâtre populaire et politique, des textes qui concernaient tout le monde, et non seulement un public élitiste. J’ai pu tester un jeu plus ancré dans le corps, faisant appel aux archétypes de nos sociétés. Grâce à elle, j’ai notamment découvert la force du masque, et ai éprouvé quelques unes de mes plus fortes émotions face à un public.
Puis j’ai rencontré Jean-Laurent Cochet qui est devenu mon maître de théâtre. Tu sais : ce sentiment, quand on t’apprend quelque chose, que tu le savais déjà mais ne l’avais jamais exprimé ? Voilà ce qui m’est arrivé avec Jean-Laurent Cochet, dont l’enseignement m’a révélé un théâtre organique, respectueux et fidèle. Je me suis senti maillon d’une grande chaîne, et j’aimais remonter la ligne du maître du maître du maître du maître… de mon maître. En quelques générations, j’étais le digne descendant de Molière 😄.
Christiane, Danuta et Jean-Laurent m’ont tous les trois fait confiance et m’ont, les premiers, fait travailler. Mes premières expériences pro, mes premiers cachets, mes premières affiches. Je leur voue une reconnaissance éternelle. Grâce à eux, j’ai pu avoir une première vie professionnelle : acteur.
(se) planter
Et au bout d’un moment, j’ai commencé à en avoir marre. De plus en plus conscient des enjeux climatiques et sociaux, j’avais l’impression de ne pas en “faire assez” et qu’émouvoir un public n’était plus suffisant. Il me fallait trouver quelque chose à faire qui ait plus de sens, ou, en tous cas, un impact plus immédiat.
Quoi de plus nécessaire que de manger ? Il m’a semblé que nourrir le monde pouvait être une mission assez noble, assez belle, et surtout très utile - enfin, nourrir quelques personnes, déjà. J’ai donc commencé à étudier l’agronomie, dans l’idée de faire du maraîchage (j’étais déjà végétarien, pas question de faire de l’élevage). Au bout de quelques mois, ma conscience de bobo-urbain s’est réveillée : “Ne faufrait-il pas que j’aille voir ce que c’est en vrai que d’être agriculteur ?”
J’ai eu la chance d’être accueilli par un couple qui faisait des plantes aromatiques et médicinales en biodynamie, dans une sorte de woofing. Les deux étaient de toutes les luttes pour une agriculture écologique, et leurs parcours respectifs leur avaient donné une très belle humanité. Ils ont été très transparents avec moi, sur la réalité du métier et de la vie d’agriculteur, et m’ont donné la possibilité de vivre de vraies journées de travail à leur côté.
Je suis parti avant la fin de la première semaine.
Le chemin à parcourir était trop grand pour moi, et je ne me voyais pas vivre cette vie là pour de vrai.
En rentrant, j’ai vu une annonce pour un poste aux relations adhérents, chez Greenpeace. C’était peut-être un pas de côté plus atteignable…
mon premier (et seul) CDI
J’ai donc commencé à répondre aux sollicitations des adhérents et adhérentes de Greenpeace, et à celles du grand public. Puis, en travaillant plus largement sur les questions liées à la fidélisation des adhérents, j’ai élargi mon spectre à tous les aspects de la collecte de fonds. J’ai enfin suivi une formation complète délivrée par l’AFF et l’ESSEC et obtenu mon Certificat du fundraising.
En parallèle, convaincu que c’était un prérequis à l’obtention de victoires significatives, j’ai travaillé sur les questions liées à l’engagement des communautés et audiences de Greenpeace, acquérant une compréhension globale des enjeux et des solutions à apporter. Si j’aime particulièrement développer mes savoirs théoriques, et penser au niveau stratégique, je suis aussi à l’aise à participer à de la conduite de projet informatique et à mettre les mains dans le code.
C’est vraiment une chance immense de pouvoir consacrer autant de temps à la lutte pour un environnement plus favorable, dans une organisation ayant la non-violence et l’indépendance pour valeurs.
C’est rare. Que ça rapporte un salaire l’est encore plus.
J’ai vraiment eu beaucoup de chance. Et j’en ai encore.